Connaître, partager, s’impliquer

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Le samedi 9 février 2019, une foule très nombreuse se pressait au Centre Hospitalier de Wallonie Picarde (CHwapi) à Tournai. Il faut dire que les questions du jour ne manquaient pas d’intérêt : Qu’est-ce que les MICI ? Comment les traiter ? Auprès de qui se renseigner ? Pourquoi arrêter de fumer ? Voilà quelques-uns des thèmes développés par les conférenciers et animateurs des ateliers proposés. Compte rendu d’une journée passionnante.

Nul doute que les attentes des participants ont été rencontrées, tant la qualité des interventions était impressionnante. Accompagnées par des illustrations très parlantes, les présentations du Dr Antoine Nakad et du Dr Souhail Saikali, gastroentérologues au CHwapi, se sont d’abord attachées à expliquer les MICI et la manière de les traiter.

Comprendre les MICI

« La rectocolite ulcéro-hémorragique (RCUH) n’atteint que le côlon, tandis que la maladie de Crohn concerne tout le tube digestif de manière segmentaire », détaille le Dr Nakad. Segmentaire signifie que des segments d’intestin avec ulcérations alternent avec des zones non ulcérées. Ces inflammations sont dues à un dysfonctionnement de notre système immunitaire, censé nous protéger de toute agression extérieure, et à la modification – en quantité et en qualité – du microbiote, autrement dit de la flore intestinale. On parle alors de dysbiose.

Deux cofacteurs

À l’origine de toute maladie, il y a toujours deux facteurs concomitants : « l’un est génétique et l’autre environnemental, c’est-à-dire qu’une agression externe va déclencher la maladie chez l’hôte prédisposé », précise Antoine Nakad. Quels sont ces facteurs environnementaux ? Antibiotique, infection intestinale, appendicectomie, mais aussi tabac, alcool et notre régime alimentaire occidental riche en sucre, graisses, aliments transformés et pauvre en fibres.

Les symptômes

Si les personnes atteintes les connaissent bien, il est utile de rappeler à leur entourage les symptômes des MICI : diarrhées, sang dans les selles, fatigue, douleurs abdominales, perte de poids, anémie, fièvre, nombreuses visites aux toilettes… Ces symptômes peuvent également être extradigestifs : problèmes dermatologiques, articulaires, hépatiques, oculaires, métaboliques, rénaux et pulmonaires. La maladie évolue en alternant poussées inflammatoires et périodes de rémission.

Le diagnostic

Quels sont les examens initiaux que pratique le médecin ? Une prise de sang pour repérer les inflammations, carences, virus éventuels ; un dosage de la calprotectine dans les selles ; une endoscopie haute et basse, une entéro résonnance magnétique et une résonance périnéale. Pourquoi tous ces examens ? Parce que nombreuses sont les maladies infectieuses qui ‘miment’ les MICI : il faut pouvoir les exclure. Le médecin posera ensuite toute une série de questions pour évaluer l’état du patient et déterminer la sévérité de la maladie : ressenti global, présence de douleurs abdominales, nombre de selles par jour…

Une interaction essentielle

Avant de décrire les différents traitements, Souhail Saikali énonce la condition fondamentale de leur réussite : « Nous devons impérativement inclure le patient dans la prise en charge de sa maladie. Cette interaction lui permet de mieux la connaître et la comprendre afin de se sentir capable de participer à la décision thérapeutique. » Après avoir établi le diagnostic et décidé ensemble d’un premier traitement, le patient rencontrera régulièrement son médecin pour effectuer un suivi de l’évolution clinique, biologique, de la calprotectine, etc. permettant d’ajuster le traitement. En cas de poussée, « n’hésitez pas à contacter votre équipe soignante : elle est à votre disposition ! », rappelle le Dr Saikali.

Les objectifs du traitement

« Le traitement vise plusieurs buts », poursuit Souhail Saikali : « soulager les symptômes pour améliorer la qualité de vie, guérir les lésions de la muqueuse et maintenir cette guérison dans le temps. » Il faut également assurer un équilibre entre l’efficacité du traitement et la sécurité : réduire au minimum les effets secondaires, les infections, l’apparition de cancers, etc.

Pour commencer

Le premier traitement est dit ‘de soutien’. Il soulage les symptômes et traite les carences (en vitamines et minéraux par ex.). Il peut comprendre des antibiotiques en cas d’infection, des probiotiques pour aider à rétablir l’équilibre la flore intestinale, et si nécessaire, des vaccins. Il s’agit aussi de gérer une éventuelle addiction au tabac (voir l’article qui y est consacré), la fatigue et de traiter les manifestations extradigestives. Le traitement spécifique Deux facteurs déterminent le choix du traitement : le type de maladie (Crohn ou rectocolite) et sa sévérité. Les différents traitements sont illustrés sous forme de pyramide (voir ci-dessous) qui peut être parcourue du bas vers le haut, mais aussi du haut vers le bas : on peut commencer par un traitement lourd, et puis redescendre progressivement.

Les différents échelons

Parcourons les différents échelons de cette pyramide de traitements, en commençant par celui du bas. 1. Les 5-ASA : administrés par voie orale et éventuellement voie rectale. Efficaces surtout en cas de la rectocolite ulcéro-hémorragique. 2. Les corticostéroïdes : très efficaces et très rapides d’action, il ne faut pas les utiliser comme traitement d’entretien. Pourquoi ? Parce que les effets secondaires à long terme au niveau cutané, des os, des yeux, etc. sont importants. Leur arrêt doit être progressif. 3. Les immunosuppresseurs : nettement mieux tolérés à long terme que la corticothérapie. Leur action est en revanche lente. Attention : ils sont photo-sensibilisants. 4. Les traitements biologiques : ces médicaments ont révolutionné l’évolution des MICI. On y distingue trois catégories : les anti-TNFα qui agissent à la fois sur l’intestin et sur les manifestations extradigestives ; l’Entyvio, qui bloque les lymphocytes pour éviter les poussées inflammatoires, diminuer l’intensité de l’inflammation et même guérir les ulcères ; les médicaments ‘anti-Interleukine’ (les interleukines provoquent l’inflammation), tels que le Stelara. 5. La chirurgie : à éviter si possible, car elle n’évite pas la récidive. Quand faut-il opérer ? En cas de complications, si la maladie est réfractaire, si les effets secondaires sont importants.

Un futur prometteur

« L’avenir du traitement des MICI, c’est la télémédecine », affirme le Dr Nakad, « avec des techniques de surveillance à domicile, notamment du taux de calprotectine. » Le patient est et sera de plus en plus impliqué comme acteur principal dans sa prise en charge : applis sur smartphone pour le suivi, interactivité de plus en plus importante avec le corps soignant, les associations de patients. Le Dr Saikali ajoute : « plusieurs études sont en cours, notamment sur de nouveaux médicaments à prendre par voie orale plutôt qu’en intraveineuse, sur des cellules souches qui pourraient être utilisées dans le traitement des fistules… »

Participer à une étude

Dans son exposé sur la base de données MICI collectées au CHwapi, le Dr Sandrine Vanden Bergh, attachée de recherche clinique, a expliqué toute l’importance de la recherche scientifique et encouragé les patients à participer à une étude : « Tous les médicaments dont vous bénéficiez sont le fruit de la recherche et des personnes qui y ont participé. Ces recherches permettent de mieux comprendre la maladie, de diversifier et d’améliorer les traitements existants, de mettre au point des médicaments à la pointe, à l’efficacité au moins égale à celle des traitements classiques. Ces nouveaux médicaments permettent d’augmenter l’espérance et le confort de vie, et de mieux gérer l’impact socio-économique de la maladie. » Les avantages pour le patient participant ? La gratuité du médicament d’étude et des actes cliniques qui y sont liés ; un suivi plus intensif permettant de diagnostiquer un dysfonctionnement que l’on n’aurait pas détecté en routine ; dans certains cas, la poursuite de la mise à disposition du traitement expérimental après l’étude. Cette participation – confidentielle et à laquelle on peut renoncer à tout moment sans avoir à se justifier – concerne toujours des études dites de phase 3. Dans cette toute dernière phase avant commercialisation du produit sur le marché, le médicament est testé sur plusieurs milliers de patients. L’objectif principal est d’évaluer l’efficacité du médicament en le comparant avec un placebo ou avec un autre médicament qui est déjà sur le marché.

« Calmez le docteur Google ! »

Même si la tentation est grande de se précipiter sur internet pour en savoir plus sur les MICI, Antoine Nakad invite tout un chacun à « calmer le Dr Google » : « Les informations qu’il dispense ne sont pas validées et interfèrent dans le traitement médical : l’association Crohn-RCUH est là pour les confirmer ou les infirmer. »

Vous n’êtes pas seul(e)

Ce ne sont pas Daniel De Bast, président de cette association, ni Katleen Franc, l’une des chevilles ouvrières du groupe Jeunes au sein de celle-ci, qui contrediront ces propos. Dans la dernière conférence de la journée, ils ont mis l’accent sur les actions menées par l’association Crohn-RCUH au bénéfice des patients francophones. Parmi celles-ci, citons :
  • la création de la carte ‘urgence toilettes’, personnalisée et valable en Belgique mais aussi en Europe ;
  • une permanence téléphonique par province, assurée par des patients MICI ;
  • un colloque annuel sur un thème choisi ;
  • le recensement de tous les lieux (cafés, restos, salles de spectacle…) susceptibles de mettre gratuitement des toilettes à la disposition des patients. Les 2 200 points recensés sont repris dans l’application ‘WC Asapp’ pour smartphone. Celle-ci vous indique les toilettes gratuites les plus proches du lieu où vous vous trouvez ;
  • l’organisation de la Journée Nationale des MICI qui permet de mettre un coup de projecteurs sur ces maladies, relayé par les médias ;
  • des campagnes d’information pour sensibiliser le grand public et susciter une plus grande empathie vis-à-vis des patients atteints par une MICI ;
  • l’animation de deux pages Facebook (l’une pour les jeunes*, l’autre pour les adultes**). Parce qu’elles sont elles-mêmes patientes, les personnes qui gèrent ces pages apportent des réponses pertinentes aux questions qui se posent au quotidien, au moment du diagnostic mais aussi au fur et à mesure de l’évolution de la vie et des choix de chacun.
Autant de raisons pour sortir de son isolement, oser parler de sa maladie, de son impact sur le plan physique mais aussi social, en bénéficiant d’une écoute attentive, bienveillante et d’un soutien sans faille.
* MICI jeune et belge ! ** MICI belge asbl Crohn RCUH officiel